L’étendue du devoir de conseil du maitre d’œuvre

Le devoir de conseil du maître d’œuvre est à géométrie variable. Il fournit une prestation intellectuelle dont la nature est librement convenue entre les parties. Il peut se voir confier une mission de conception, d’exécution ou une mission complète.

Les décisions sont légion en la matière. Aussi, il a pu être observé au gré de celles-ci, un renforcement du devoir de conseil du maître d’œuvre.

Deux arrêts rendus le 8 décembre 2021 par la Cour de cassation viennent l’illustrer.  

Dans la première affaire, la Cour de cassation a pu rappeler que l’étendue de ce devoir de conseil dépend de la mission qui lui est confiée. De même, ce devoir s’étend également au-delà de cette mission, en fonction de la compétence des autres intervenants à l’acte de construire.

Dans la seconde, l’étendue de ce devoir de conseil a pu être évoquée au regard de la compétence du maitre d’ouvrage. Ici, le maitre d’œuvre aurait dû proposer de conclure un contrat de construction de maison individuelle.

Décision 1 : Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n°20-16.961

Les faits :

Un maître d’ouvrage confie à un groupement de maîtrise d’œuvre une opération de rénovation et d’extension d’un EHPAD. La réalisation des travaux est confiée à une entreprise générale. Les travaux sont interrompus en raison d’une décision administrative. La commission de sécurité a, en effet, émis un avis défavorable. Les travaux reprennent deux mois plus tard avec certaines modifications. Le maître d’ouvrage assigne les maîtres d’œuvre en responsabilité. Ils souhaitent, notamment, obtenir l’indemnisation du coût des travaux supplémentaires.

La Cour d’appel de Rennes :

Elle rejette cette demande aux motifs que les règles de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public ne relevaient pas de la mission du groupement de maîtrise d’œuvre.

La Cour de cassation :

Au contraire, la Haute Cour censure. Elle estime, en effet, que les juges du fond auraient dû rechercher si, au regard des missions confiées par le contrat de maîtrise d’œuvre et les caractéristiques de l’ouvrage, le groupement n’était pas tenu d’un devoir de conseil portant sur le respect des règles de sécurité.

Décision 2 : Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n°20-20.086

Les faits :

Un maître d’ouvrage confie à un maitre d’œuvre une mission complète portant sur la construction d’une maison et d’une piscine. Le chantier est abandonné par l’entreprise qui fait ensuite l’objet d’une liquidation judiciaire. Le maître d’œuvre résilie son contrat avec le maitre d’ouvrage, invoquant la perte de confiance de ces derniers. Les maitres d’ouvrage l’assignent en réparation du préjudice subi, faute de conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle.

La Cour d’appel de Paris :

Elle les déboute de cette demande. La Cour a considéré que le maître d’ouvrage devait examiner avec l’architecte les modalités de réalisation de l’ouvrage et choisir le mode de dévolution des marchés de travaux soit par corps d’état séparés soit par groupement d’entreprises, sans qu’il ne soit fait référence au CCMI. Selon elle, le maître d’œuvre n’a donc pas commis de faute en ne conseillant pas aux maîtres d’ouvrage de signer un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan au lieu d’un devis.

La Cour de cassation :

Elle censure et estime que le maître d’œuvre aurait dû conseiller aux accédants à la propriété de conclure un CCMI. Elle considère que les juges du fond auraient dû rechercher, si les maîtres d’ouvrage avaient été préalablement informés par la société de maîtrise d’œuvre, en sa qualité de professionnelle de la construction, des garanties d’ordre public offertes par le contrat de construction de maison individuelle au regard du contrat d’entreprise de droit commun.

En effet, le CCMI sans fourniture de plan, est soumis, sous peine de nullité, aux dispositions d’ordre public du code de la construction et de l’habitation, dont la garantie d’achèvement.

Lorsque la mission d’assistance à la conclusion des contrats de travaux (dite « ACT ») est confiée au maître d’œuvre, ce dernier doit être vigilant sur l’étendue de son obligation de conseil. Celle-ci s’étend ainsi au-delà de son contrat, surtout lorsque le maître d’ouvrage n’est pas professionnel.

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